Risques qui planent et résilience à long terme

Discours - Toronto -

Allocution de Peter Routledge, surintendant, Economic Club of Canada, Toronto (Ontario), 27 avril 2023

Le texte prononcé fait foi

Date : 27 avril 2023

Merci de m’avoir invité de nouveau à prendre la parole aujourd’hui. Avant de commencer, je tiens à souligner que nous sommes réunis sur le territoire traditionnel de la Première Nation des Mississaugas de Credit, des Haudenosaunee, des Hurons-Wendat et d’autres nations. La possibilité qui m’est donnée d’être présent sur ce territoire me remplit de gratitude.

Réaffirmation de la volonté d’agir du BSIF

Je voudrais aujourd’hui vous parler de l’évolution des risques qui pèsent sur le système financier du Canada et de la nécessité accrue pour le BSIF, en tant qu’organisme de réglementation prudentielle, d’agir rapidement en réponse à l’incertitude.

Cette nécessité d’agir rapidement, cette volonté d’agir, est au cœur des origines de notre organisme. En effet, le BSIF a été constitué par le Parlement en 1987 en réponse à la faillite de plusieurs banques de taille moyenne au milieu des années 1980. La commission d’enquête parlementaire qui s’est penchée sur ces faillites – la Commission Estey – a souligné dans ses recommandationsNote de bas de page 1 que tout organisme de réglementation financière canadien devait avoir comme principe directeur « […] la volonté de réagir aux signaux de détresse lancés par une banque […] »Note de bas de page 2.

Depuis que j’ai pris mes fonctions de surintendant, je me suis personnellement donné pour mission de réaffirmer et de rétablir une volonté d’agir au sein de l’organisme que je dirige. Au moment où j’ai pris les rênes, le BSIF avait de bonnes raisons d’être fier de son bilan des 20 dernières années. Caractérisé par un nombre de faillites d’institutions financières extrêmement faible, ce bilan a toutefois donné lieu – et c’est tout à fait compréhensible – à un relâchement de la vigilance face au risque que l’inertie s’installe par suite d’un tel succès.

D’ailleurs, pour exprimer mes intentions profondes, j’avais intitulé le premier discours que j’ai prononcé en tant que surintendant « L’urgence absolue du moment ». Dans ce discours, et dans toutes mes interventions publiques par la suite, je me suis efforcé de rester fidèle aux origines du BSIF et de réaffirmer notre principe directeur, ce que nous appelons notre boussole, c’est-à-dire notre « volonté de réagir aux signaux de détresse », pour reprendre les termes de l’honorable Willard Estey, qui présidait la commission d’enquête parlementaire ayant conduit à la création du BSIF.

Signaux de détresse

Depuis que j’ai pris mes fonctions de surintendant, j’ai braqué l’attention du BSIF sur divers signaux de détresse : les changements climatiques, la numérisation des services financiers et les risques du marché de l’habitation, pour n’en nommer que quelques-uns.

Plus récemment, c’est le système financier mondial qui nous a envoyé d’autres signaux de détresse. De fait, trois banques ont fait faillite aux États‑Unis cet hiver, et l’une d’entre elles, la Silicon Valley Bank, avait une succursale au Canada. Au-delà de nos frontières, c’est une banque d’importance systémique mondiale, Credit Suisse, qui s’est effondrée peu de temps après la mise en difficulté des banques régionales américaines, et qui a nécessité une aide exceptionnelle pour permettre une prise de contrôle par son principal concurrent national.

Or, ces signes d’alerte sont apparus de manière très soudaine dans un environnement de risque déjà bien mouvementé pour les raisons que j’ai mentionnées tout à l’heure. Dans ce contexte, les entités que nous réglementons se demandent à juste titre comment le BSIF va réagir face à cette accumulation de signaux de détresse.

Notre guide : La boussole du BSIF

Notre boussole – autrement dit notre principe directeur – nous oblige à constamment réaffirmer notre volonté d’agir. À cette fin, nous avons fait, et nous continuerons de faire, trois choses.

Premièrement, si une institution financière éprouve des difficultés, nous agissons rapidement et de façon décisive pour protéger les intérêts des déposants et des créanciers.

Deuxièmement, nous faisons preuve de lucidité et de transparence au sujet des risques qui pèsent sur le secteur financier, comme en témoigne la publication, le 18 avril dernier, de notre Regard annuel sur le risque (RAR).

Et troisièmement, nous faisons continuellement évoluer les politiques de réglementation nécessaires pour renforcer la confiance du public envers le système financier canadien.

Je vais aborder aujourd’hui chacun de ces volets.

Si une institution financière éprouve des difficultés, nous agissons rapidement et de façon décisive pour protéger les intérêts des déposants et des créanciers.

Les mesures que nous avons prises en réponse à la faillite de la Silicon Valley Bank (SVB) et à la crise de Credit Suisse témoignent de notre volonté renouvelée d’agir.

Le débâcle de ces banques a suscité une profonde inquiétude du public quant à la santé de nos institutions financières. Et pour cause : le système financier mondial est profondément interrelié, et il y a donc toujours un risque de contagion. En d’autres termes, les problèmes observés dans une partie du système peuvent se répercuter dans le monde entier à la vitesse de la lumière.

Dans le cas de la SVB, lorsqu’il est devenu évident au cours du premier week-end que la banque était en faillite, nous avons rapidement pris le contrôle des actifs de sa succursale canadienne et demandé à la Cour supérieure de justice de l’Ontario de rendre une ordonnance de mise en liquidation. L’ordonnance a été délivrée, et une procédure de restructuration, supervisée par un liquidateur nommé par le tribunal, est en cours.

Notre réaction a donc été rapide, efficace et concertée. Nous avons travaillé nuit et jour pendant ce week-end, en collaboration avec d’autres organismes de réglementation, pour régler le dossier dans les moindres détails et faire en sorte que les intérêts des créanciers de la succursale canadienne de la SVB soient protégés. Cette réaction rapide montre ce qu’il est possible d’accomplir sans tarder lorsque l’on a la volonté et le leadership nécessaires.

Par ailleurs, vous ne serez sans doute pas surpris d’apprendre que nous suivons de près la manière dont l’autorité de réglementation helvétique gère les difficultés rencontrées par Credit Suisse. Même si les risques étaient différents de ceux liés à la SVB, nous avons été très attentifs à la réaction du marché face aux modalités contractuelles visant les instruments des autres éléments de fonds propres de catégorie 1 de Credit Suisse, qui prévoyaient une dépréciation du montant total du principal des billets en cas d’événement déclencheur de non-viabilité.

Nous avons tout de suite compris l’incidence qu’un tel événement pourrait avoir sur la perception qu’ont les marchés des instruments de fonds propres des banques canadiennes. C’est pourquoi nous avons pris des mesures sans attendre pour rappeler aux investisseurs que le régime de fonds propres du Canada préserve la hiérarchie des créanciers dans l’éventualité d’un événement déclencheur de non-viabilité.

Nous avons donc rapidement publié une déclaration pour réitérer le fait que, aux termes des lignes directrices du BSIF sur les fonds propres, si une institution de dépôt canadienne en venait au point de non-viabilité, elle devrait convertir en actions ordinaires ses instruments des autres éléments de fonds propres de catégorie 1 et ses instruments de fonds propres de catégorie 2 dans le respect de la hiérarchie des créances en cas de liquidation. Cette conversion entraîne une dilution appréciable de l’avoir des détenteurs d’actions ordinaires préexistants, ce qui, selon nous, répond aux attentes raisonnables des intervenants du marché concernant les instruments de fonds propres des banques.

Ces deux cas illustrent bien l’importance d’agir de manière transparente et rapide pour favoriser la stabilité financière.

Nous faisons preuve de lucidité et de transparence au sujet des risques qui pèsent sur le secteur financier en publiant notre regard annuel sur le risque.

Deuxièmement, en vue de renforcer la confiance dans nos activités de surveillance, nous publions chaque printemps notre Regard annuel sur le risque (RAR), qui s’accompagne d’une mise à jour à l’automne. L’édition de 2023-2024 a d’ailleurs été publiée la semaine dernière.

Le RAR est un document important qui nous aide à rester lucides sur les risques auxquels nous faisons face en tant que surveillants des institutions financières fédérales (IFF) au Canada. Il résume le point de vue du BSIF sur l’environnement de risque à un moment précis et alerte sur les risques qui se profilent à plus long terme. Il permet de suivre les menaces actuelles et de présenter notre appréciation du risque en toute transparence. Le RAR constitue donc un volet supplémentaire substantiel de nos efforts visant à renforcer la confiance du public envers le système financier canadien. Nous voulons que les institutions que nous réglementons, les autres parties prenantes et le public connaissent la nature des risques auxquels nous sommes confrontés et les mesures que nous allons prendre pour y faire face.

Nous faisons continuellement évoluer les politiques de réglementation nécessaires pour renforcer la confiance du public envers le système financier canadien.

Comme nous l’avons vu, le RAR nous permet de communiquer notre évaluation, actuelle et à venir, des risques. Selon cette évaluation, notre devoir envers la population canadienne est de préparer le système financier à gérer ces risques.

Cette préparation se traduit par des mesures de surveillance et de réglementation qui visent à renforcer la confiance du public envers le système financier canadien. Dans ce domaine, nous agissons en toute transparence grâce, encore une fois, à notre RAR, ou à des interventions publiques comme celle-ci. Dans cette optique, je tiens maintenant à souligner les mesures que nous avons prises en réponse à trois risques actuels et émergents : le financement de l’habitation, les changements climatiques et le recours aux ententes avec des tiers.

Commençons par les risques qui pèsent sur le marché de l’habitation.

Nous avons demandé aux IFF de réfléchir aux répercussions du risque de crédit accru sur leurs provisions pour pertes et sur leurs décisions en matière de gestion des fonds propres. En outre, nous attendons des IFF qu’elles mettent en place des pratiques de gestion des comptes en amont afin d’aider les emprunteurs en période de crise, en gardant à l’esprit la version proposée de la Ligne directrice sur les prêts hypothécaires existants aux particuliers dans des circonstances exceptionnelles de l’Agence de la consommation en matière financière du CanadaNote de bas de page 3.

Soulignons que ces travaux viennent s’ajouter à nos examens de surveillance réguliers et à nos activités de suivi continues de la qualité des actifs hypothécaires pour détecter tout signe de détérioration du crédit.

Nous continuons par ailleurs de collaborer avec des acteurs du secteur sur les programmes de prêts combinés afin de clarifier la manière dont ils appliquent notre ligne directrice B-20, Pratiques et procédures de souscription de prêts hypothécaires résidentiels.

En janvier dernier, nous avons d’ailleurs lancé la première phase d’une consultation publique sur la ligne directrice B-20, comme nous nous y étions engagés dans la mise à jour du RAR parue à l’automne dernier.

De fait, le niveau de l’endettement des ménages au Canada est une vulnérabilité que nous prenons très au sérieux et un indicateur que nous surveillons, et que nous continuerons de suivre, de près. Cette vulnérabilité de longue date présente aujourd’hui un risque encore plus grand du fait des taux d’intérêt hypothécaires élevés et d’un possible ralentissement économique.

Nous remercions toutes celles et ceux qui, en si grand nombre, ont fait part de leurs commentaires, tant dans le cadre de la consultation que dans les médias. Force est de constater que de saines pratiques de souscription de prêts hypothécaires et une bonne qualité du crédit contribuent au bon fonctionnement du marché hypothécaire, et sont essentielles au bien-être financier de la population canadienne.

Pour ce qui est des prochaines étapes, nous prévoyons de publier une synthèse des commentaires reçus des parties prenantes dans les mois à venir. Il est également possible que nous publiions un préavis ou des consignes provisoires pour donner une orientation des mesures que nous pourrions envisager et de ce qui pourrait être fait dans la foulée.

Le deuxième risque dont je souhaite vous parler est le risque lié aux changements climatiques.

Je commencerais par souligner que je suis un lecteur assidu des rapports publiés par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat des Nations Unies (le GIEC), dont le plus récent date de mars 2023Note de bas de page 4. Les conclusions du GIEC ne laissent aucune place au doute : les changements climatiques sont une menace pour le bien-être de l’humanité, et le seront d’autant plus si l’on ne parvient pas à limiter l’augmentation de la température moyenne à la surface du globe à 1,5° Celsius (mesurée par rapport à la température moyenne entre 1850 et 1900).

Partout dans le monde, les nations déploient des efforts, d’une part, pour effectuer leur transition énergétique en abandonnant les énergies émettrices de gaz à effet de serre et, d’autre part, pour atténuer les effets du réchauffement climatique déjà bien réel, et s’y adapter. Or, les mesures prises par ces nations pour atténuer les risques physiques et de transition découlant des changements climatiques pourraient avoir de profondes répercussions sur le Canada, son économie et son système financier. Plus précisément, le Canada sera beaucoup plus touché par les mesures climatiques prises par d’autres nations qu’il n’influera sur le mouvement mondial d’adaptation aux changements climatiques.

Aussi, la responsabilité du BSIF à l’égard des risques climatiques est de veiller à ce que le système financier canadien cerne les risques liés aux changements climatiques et renforce se résilience face à ces risques.

Jusqu’à présent, notre approche à cet égard s’articule autour de la ligne directrice B‑15, Gestion des risques climatiques. Cette ligne directrice vise à garantir que, à mesure que les risques liés au climat – dont les risques physiques et de transition – se manifestent sous différentes formes, les IFF et les régimes de retraite font évoluer leurs dispositifs de gouvernance et de gestion du risque en conséquence.

Afin de consolider nos propres capacités d’évaluation des risques climatiques et celles des IFF, nous allons recueillir, analyser et communiquer de nouvelles données sur ces risques. Nous prévoyons également de mettre au point un exercice normalisé d’analyse de scénarios climatiques que toutes les IFF devront réaliser en 2024. Cet exercice intégrera les leçons tirées de deux projets menés actuellement en collaboration avec la Banque du Canada : un premier portant sur le risque de transition, et l’autre sur un seul risque physique comme le risque d’inondation.

Le dernier risque que je souhaite aborder est le recours aux ententes avec des tiers dans le secteur des services financiers. Soulignons d’ailleurs que ce risque figure lui aussi dans le RAR de 2023-2024.

La dépendance accrue du secteur des services financiers aux ententes externes accentue le risque qui pèse sur les IFF, que ce risque soit lié aux services essentiels ou à la compromission des données. Qui plus est, les tiers fournisseurs peuvent eux aussi avoir recours à des ententes externes, ce qui rend la supervision encore plus complexe. Enfin, l’émergence de fournisseurs de services technologiques dominants ainsi que la fréquence et la gravité des cyberincidents exacerbent le risque d’un événement systémique.

Ces ententes avec des tiers présentent donc des risques considérables pour notre système. Voilà pourquoi nous ne pouvons ni les ignorer aujourd’hui ni partir du principe qu’ils n’évolueront pas.

Face à cette problématique, nous avons publié cette semaine la ligne directrice B-10, Gestion du risque lié aux tiers, en réponse aux tendances mondiales en matière de réglementation ainsi qu’au développement et à la complexité de l’écosystème de tiers. La ligne directrice B‑10 ne vise pas uniquement les ententes d’impartition conclues par les IFF, mais porte sur un éventail complet d’ententes avec des tiers.

Nous prévoyons en outre de collaborer avec des professionnels du secteur pour améliorer la cohérence et la qualité des données sur le risque lié aux tiers. Nous avons d’ores et déjà participé, en 2022‑2023, à un projet pilote d’appel de données auprès de tiers, avec un groupe d’IFF. Les leçons tirées de ce projet permettront d’améliorer les processus de regroupement, d’analyse et de présentation des données, et de mieux cerner les tendances et les vulnérabilités liées aux ententes avec des tiers. Ces données nous aideront par ailleurs à adapter notre ligne directrice aux réalités changeantes du secteur que nous encadrons.

Conclusion

Pour conclure, j’ai souvent exprimé ma volonté de faire preuve de transparence quant à la manière dont le BSIF perçoit son environnement de risque et à ses plans pour s’y adapter. J’ai aussi souligné à plusieurs reprises le penchant du BSIF pour l’action.

En effet, c’est en combinant une analyse lucide des risques actuels et émergents et une prédisposition à agir rapidement et de façon décisive que le BSIF renforcera la confiance du public envers le système financier canadien. Cette volonté d’agir est, et demeurera, notre boussole.

De la même manière qu’une boussole indique le nord magnétique, au BSIF, notre boussole nous rappelle sans cesse notre mission. Je pense avoir apporté aujourd’hui la preuve des effets positifs qui découlent de la communication publique des risques cernés, puis de l’adoption de mesures rapides et décisives pour protéger les intérêts des déposants et des créanciers.

Enfin, j’ajouterais que notre boussole donne à la population canadienne des raisons d’avoir confiance dans notre système financier.

Merci de votre attention.

C’est avec plaisir que je répondrai maintenant à vos questions.