Briller malgré l’incertitude : Ne vous contentez pas de planifier l’avenir, construisez-le!

Discours -

Allocution de Peter Routledge, surintendant des institutions financières, Economic Club of Canada, le 8 septembre 2022

LE TEXTE PRONONCÉ FAIT FOI

erci de cette aimable présentation. Je tiens à reconnaître que nous nous réunissons aujourd’hui sur le territoire traditionnel de la Première Nation des Mississaugas de New Credit, des Haudenosaunee, des Hurons‑Wendat et d’autres nations.

Si la reconnaissance de territoire marque une étape importante dans notre cheminement collectif vers la réconciliation, elle m’amène aussi à réfléchir aux liens étroits desquels dépend notre monde de plus en plus interconnecté et illustre bien que nous ne sommes que les gardiens de la terre et des ressources dont elle nous a fait cadeau.

Liens étroits et interdépendances sont des expressions importantes aux yeux de tout organisme de réglementation du secteur financier, car elles renvoient non seulement à la notion d’occasions favorables, mais également à celle d’un risque commun : si un seul acteur de notre système économique perdait pied, beaucoup pourraient essuyer des pertes et coûts imprévus.

De quels risques parlons-nous plus exactement?

Lors d’autres allocutions, j’ai décrit les 20 premières années du XXIe siècle comme une période de grande incertitude, marquée par une instabilité corrélative du système financier, en raison de perturbations géopolitiques, de tensions financières et économiques, et de risques que je qualifie d’inconnues de sources inconnues, c’est-à-dire des événements ou phénomènes qui surgissent sans signe avant-coureur, comme la pandémie mondiale de 2020-2022.

À cette liste s’ajoute assurément l’intensification des risques économiques et financiers provoquée par le réchauffement climatique notamment attribuable aux émissions de gaz à effet de serre. Il suffit de constater les ravages causés par les périodes successives de canicule et de sécheresse en Europe, en Amérique du Nord et en Chine cet été pour prendre la mesure de cette menace.

Dernièrement, l’émergence soudaine de pressions inflationnistes aux quatre coins du globe a poussé les banques centrales à resserrer leur politique monétaire. La remontée des taux d’intérêt directeurs se traduira par des charges de remboursement plus élevées ce qui, conjugué à une inflation à la hausse, exercera une pression financière sur les ménages canadiens.

D’ailleurs, l’ancien gouverneur de la Banque du Canada, Stephen Poloz, a écrit dans son livre, The Next Age of Uncertainty, que les prochaines années seraient caractérisées par une volatilité encore plus forte, et non moindre. Par contre, il nous rappelle que la volatilité peut produire des effets antagoniques : elle peut s’accompagner de meilleurs résultats qu’estimé comme de moins bons. Autrement dit, volatilité et incertitude sont tantôt source d’occasions favorables, tantôt source de risques.

À mon avis, pour favoriser les bons coups tout en atténuant les risques de cette nouvelle ère d’incertitude, les organismes de réglementation du secteur financier doivent reconnaître que les stratégies et les tactiques prônées par le passé, même récemment, pourraient désormais s’avérer moins efficaces. Certes, des principes éprouvés continueront de bien nous servir, mais nous devons envisager l’avenir en nous demandant comment adapter nos stratégies et tactiques pour relever les défis de l’heure et accroître la confiance du public envers le système financier canadien?

Selon moi, il nous faut agir plus rapidement et répondre sans tarder aux risques émergents. Je vous explique pourquoi dans quelques instants, mais je souligne d’emblée qu’à l’heure d’évaluer ses stratégies en matière de surveillance ou de réglementation, le BSIF doit partir du principe qu’il convient d’accepter les risques associés à une réponse précoce afin d’atténuer les coûts d’une réponse trop tardive.

Je vais vous exposer aujourd’hui comment le BSIF appliquera cette approche dans l’année à venir. Il s’appuiera principalement sur cinq mesures :

  1. Le BSIF comptera sur le fait que les conseils d’administration des institutions financières continuent de jouer un rôle crucial dans le système financier;
  2. Le BSIF rappellera aux entités réglementées le principe suivant : qui dit périodes d’incertitude accrue dit marges de sécurité accrues;
  3. Le BSIF surveillera de plus près la souscription des prêts hypothécaires résidentiels étant donné l’état actuel du financement de l’habitation;
  4. Le BSIF publiera la version finale de sa ligne directrice sur la gestion des risques climatiques avant la fin de l’exercice en cours;
  5. Et le BSIF définira des approches en matière de réglementation et de surveillance pour les actifs numériques, fondées sur le principe suivant : même activité, même risque, même règle.

Au début du siècle, les institutions financières canadiennes, surtout les plus grandes, ont lancé la tendance, suivie mondialement, consistant à séparer les fonctions de président du conseil d’administration et de premier dirigeant. Si cela semble aller de soi de nos jours, n’oublions pas que cette séparation des pouvoirs résulte uniquement du désir de ces institutions de rendre leurs pratiques de gouvernance plus efficaces.

Malgré l’incertitude et la volatilité observées ces 20 dernières années, les institutions financières fédérales du pays, ou IFF, se sont montrées plus résilientes que bon nombre de leurs homologues étrangers, que ce soit sur le plan des fonds propres ou de la liquidité, ou face aux risques non financiers. Le fait que nos IFF affichent des pratiques de gouvernance efficaces et une résilience hors du commun ne doit rien au hasard. Les conseils d’administration canadiens méritent des éloges!

Les conseils d’administration ont toujours aujourd’hui cette responsabilité particulière et ce devoir de veiller sur leurs institutions en période d’intensification des risques. Leur mandat consiste à protéger les valeurs de franchises sous-jacentes afin qu’elles disposent des ressources nécessaires pour résister à des tensions, puis prospérer pendant les périodes de croissance.

Le BSIF compte sur le fait que les conseils d’administration jouent ce rôle important de gestionnaires responsables et éclairés, prêts à protéger la valeur de franchise de leur institution, surtout lorsque les risques s’accentuent. Le BSIF s’attend aussi à ce que les conseils d’administration s’intéressent tout particulièrement au long terme et considèrent les sommes allouées maintenant aux marges de sécurité, en termes de fonds propres ou de liquidité, non pas comme un coût, mais comme un investissement durable dans la valeur de franchise à long terme.

À titre d’organisme de surveillance et de réglementation, le BSIF a pour mission de réduire le risque et le coût qu’impliqueraient des manquements importants, et ce faisant, il contribue à protéger la valeur de franchise à long terme des IFF. À cet égard, les préoccupations d’ordre prudentiel vont dans le même sens que celles des membres des conseils d’administration.

Dans cette nouvelle ère d’incertitude, nous attendons des institutions que nous réglementons qu’elles fassent preuve de vigilance et redoublent de prudence dans leurs pratiques de gestion de fonds propres, et qu’elles pensent à augmenter leurs marges de sécurité, ce qui renforcera, par ricochet, leur résilience.

Là encore, le rôle des conseils d’administration est incontestable, mais ils ne peuvent porter à eux seuls cette responsabilité. Le BSIF doit aussi jouer un rôle actif et s’engager à agir sans délai et de façon prévisible pour favoriser la stabilité du système financier réglementé, vu l’intensification des risques.

Par exemple, en juin nous avons annoncé que nous maintenions le taux de la réserve pour stabilité intérieure, ou RSI, à 2,5 pour cent, un niveau relativement élevé. Nous avons de plus mentionné que nous examinions son concept même et la fourchette établie. La RSI constitue une réserve de fonds propres supplémentaire au titre du deuxième pilier à laquelle les banques d’importance systémique intérieure devraient contribuer. Il s’agit d’une arme de plus dans notre arsenal pour stimuler le crédit en période de contraction. Voilà pourquoi elle est utile. Vous comprendrez donc que nous revoyons son fonctionnement afin de nous assurer qu’elle continue bel et bien d’agir comme un amortisseur de chocs systémiques.

Faisant fond sur son examen de la RSI, le BSIF entreprend également une révision majeure de son cadre de fonds propres au titre du deuxième pilier, lequel couvre les risques idiosyncrasiques non pris en compte dans le calcul de la RSI ou des réserves et exigences de fonds propres au titre du premier pilier.

Même si le BSIF peut toujours resserrer ses exigences en matière de fonds propres et de levier pour les ajuster au profil de risque d’une institution en particulier, il entame cette révision pour rendre le cadre de fonds propres au titre du deuxième pilier plus transparent et prévisible, et veiller à ce qu’il continue de remplir l’objectif poursuivi malgré l’amplification des risques.

Peut-être plus important encore, au terme de cet exercice, nous disposerons de meilleurs outils pour vérifier que chaque banque affiche des niveaux de fonds propres assez solides compte tenu de son profil de risque spécifique, de ses provisions, de ses évaluations de fonds propres et plans connexes et des résultats de simulations de crise.

Dans les circonstances actuelles, toutes les institutions sous la surveillance du BSIF devraient conserver des réserves de fonds propres et de liquidités nettement supérieures à leurs moyennes cycliques. Nous estimons qu’il s’agit de l’approche appropriée et prudente à préconiser, et nous surveillons constamment les conseils d’administration des institutions financières pour nous assurer que leur propension à prendre des risques cadre parfaitement avec l’objectif primordial d’afficher une bonne résilience. Le marché ne punira pas les institutions financières qui maintiennent des réserves importantes, abondantes et sûres. En revanche, en périodes troubles, les mauvais élèves à cet égard seront pénalisés et devront éponger des coûts importants.

Comme je l’ai mentionné un peu plus tôt, le système financier canadien peut heureusement compter sur des normes de gouvernance d’entreprise prudentielles rigoureuses. Le BSIF n’a aucun mal à faire confiance aux conseils d’administration des institutions financières qu’il réglemente, car il sait qu’ils appliqueront rigoureusement le principe entourant la résilience au moment de trancher sur les acquisitions, la rémunération des dirigeants, les distributions aux actionnaires et l’augmentation de la valeur de franchise à long terme.

Passons maintenant à la situation du financement de l’habitation. Depuis la crise financière mondiale de 2008-2009, le BSIF demande aux institutions qu’il réglemente d’employer des normes de souscription très élevées à l’égard des prêts hypothécaires, pour garantir la qualité du crédit dans le financement de l’habitation, ce qui en retour contribue à préserver l’accès à ce type de financement.

La ligne directrice B-20 du BSIF, qui régit les pratiques et les procédures de souscription de prêts hypothécaires résidentiels, est un autre outil important qui favorise le respect de saines pratiques de souscription, particulièrement durant des épisodes de surchauffe du marché du logement ou ceux marqués par un pessimisme excessif. Les indicateurs de qualité du crédit historiquement solides observés dans les dossiers de prêts hypothécaires résidentiels canadiens au cours des dernières années en font foi.

Nous savons que la pandémie a fait grimper les évaluations immobilières partout au pays. Plus récemment, de fortes pressions inflationnistes ont donné lieu à une remontée des taux d’intérêt. Au Canada, la hausse des taux d’intérêt hypothécaires accroît le risque d’une correction qui pourrait se répercuter sur les évaluations des actifs et les remboursements.

L’augmentation des taux d’intérêt suscite, à juste titre, incertitude et anxiété, et a amené certains Canadiens à demander un assouplissement des normes de souscription énoncées dans la ligne directrice B-20. Je rassure tout de suite les opposants à cette idée : le BSIF ne changera pas de cap.

Voilà pourquoi nous avons resserré les normes de souscription en juin de cette année, lorsque nous avons défini de nouvelles attentes en ce qui a trait au régime applicable aux produits de prêts immobiliers innovants, y compris les prêts hypothécaires inversés, les prêts hypothécaires avec participation à la mise de fonds et les programmes de prêt combinés. Dans le dernier cas, en raison de nos attentes plus élevées, les prêteurs devront veiller à ce que les souscripteurs de prêts hypothécaires résidentiels non assurés dont le ratio prêt-valeur est supérieur à 65 % n’empruntent pas à répétition sur leur principal ou l’appréciation du prix de leur maison, s’endettant ainsi davantage au lieu de rembourser leur prêt.

La ligne directrice B-20 ayant des répercussions sur l’accession à la propriété, elle attire grandement l’attention du public, du moins comparativement à nos autres lignes directrices qui concernent la réglementation. Nous comprenons tout à fait cet état de choses puisque le sujet de l’habitation interpelle tous les Canadiens et la ligne directrice B-20, ne nous en déplaise, leur importe. Il est donc de notre devoir de faire preuve de transparence et de répondre en toute franchise aux préoccupations qu’elle suscite.

Le BSIF s’est engagé à revoir la ligne directrice B-20. Et il le fera pour s’assurer que les pratiques de souscription de prêts hypothécaires des IFF respectent des normes élevées. Une de ces normes porte sur la capacité des emprunteurs à rembourser leur dette tout au long des cycles économiques et oblige les prêteurs à appliquer un taux admissible en cas de prêts hypothécaires non assurés qui correspond au taux hypothécaire contractuel majoré d’une réserve ou à un taux plancher minimum. C’est ce qu’on appelle le taux admissible minimal (TAM) ou « simulation de crise des taux d’intérêt hypothécaires ».

Nous évaluons constamment le TAM pour vérifier son efficacité dans l’application continue de saines pratiques de souscription de prêts hypothécaires résidentiels ainsi que la protection qu’il offre contre les risques de procyclicité.

Si vous avez pris connaissance du budget fédéral de 2022, vous aurez remarqué que le gouvernement y a énoncé des attentes relativement aux défis que pose le réchauffement de la planète, notamment l’obligation de produire des rapports sur les risques climatiques et les expositions associées. En outre, le budget indique que le BSIF consultera le secteur financier à propos des exigences de communication et des lignes directrices concernant le climat, dans l’esprit du cadre élaboré par le Groupe de travail international sur l’information financière relative aux changements climatiques.

En mai, nous avons publié la version à l’étude d’une ligne directrice qui définit les attentes que le BSIF nourrit à l’égard des IFF quant à la gestion des risques climatiques. Il s’agit d’un enjeu suscitant bien des questions et qui aura des conséquences non seulement sur le bilan des banques et des assureurs, mais aussi sur le financement des projets d’énergie et d’infrastructure, de même que sur les entreprises de la quasi-totalité des secteurs de l’économie.

Les consultations publiques sur l’approche que nous proposons en matière de risques climatiques se dérouleront jusqu’à la fin du mois de septembre et, vu les importantes ramifications de la future ligne directrice et les mesures annoncées par le gouvernement à cet égard, j’attends vos commentaires avec impatience.

Discuter avec les IFF des risques hors du commun qui pèsent sur notre pays demeure une priorité, particulièrement dans la perspective où nos partenaires commerciaux se tourneraient plus rapidement qu’escompté vers des sources d’énergie non émettrices de gaz à effet de serre. L’analyse des scénarios que nous avons effectuée avec la Banque du Canada a mis en lumière les risques de perte que cela entraînerait. Je rappelle que notre mandat consiste notamment à faire en sorte que les IFF canadiennes puissent traverser une période de perturbation économique consécutive à une transition mondiale vers des sources énergétiques propres.

Certes, voilà un aspect des risques climatiques, mais ne perdons pas de vue que des occasions peuvent aussi se présenter. Nous observons avec intérêt les efforts consacrés à la mise au point de taxonomies pour les actifs dits verts et les actifs de transition, ce qui pourrait nous éclairer davantage sur leurs profils de risque sous-jacents. Nous invitons d’ailleurs les IFF à nous donner leur opinion sur les profils de risque sous-jacents des actifs verts et des actifs de transition en cette nouvelle ère d’incertitude.

Les actifs numériques — comme les cryptoactifs, les soi-disant cryptomonnaies stables, ainsi que les applications et les structures de finance décentralisée — évoluent rapidement. Bien qu’ils ne soient pas encore monnaie courante, ces produits requièrent que les institutions adoptent des approches prudentes et réfléchies, qui iront sans aucun doute dans le même sens que l’examen législatif du ministère des Finances.

Bien sûr, le BSIF encourage la concurrence et la prise de risque raisonnable, mais pas au détriment de la stabilité du système financier et encore moins à celui de la confiance que témoigne la population canadienne à ce système. L’essor des actifs numériques se constate tantôt à l’intérieur et tantôt en périphérie du système, et parfois simultanément dans les deux sphères. Or, le BSIF juge que si ces innovations offrent à la population les mêmes services et produits financiers, assortis des mêmes risques, elles devraient être régies par les mêmes règles.

En s’appuyant sur ce principe, le BSIF a publié le mois dernier des consignes provisoires pour le régime applicable aux expositions sur cryptoactifs qui viennent compléter ses lignes directrices existantes. Le préavis, qui s’adresse à toutes les institutions de dépôt et à tous les assureurs, définit et catégorise les expositions sur cryptoactifs du point de vue des normes de fonds propres et de liquidité, et des exigences de levier. Y sont également décrites les diverses formes de risques associés à ces expositions.

Je souligne que rien dans ce préavis ne signifie que le BSIF approuve l’utilisation de ce type d’actifs; il reconnaît simplement le fait que les institutions en détiendront et indique quel régime s’appliquera quant aux fonds propres, à la liquidité et aux effets de levier.

J’ai retenu cinq principaux points que les institutions doivent activement surveiller pour bien piloter leur mission en eaux troubles, soit la gouvernance d’entreprise, les marges de sécurité, les prêts hypothécaires, les changements climatiques et les actifs numériques, mais vous vous doutez bien qu’il ne s’agit là que de la partie émergée de l’iceberg.

En revanche, la façon dont elles composeront avec ces risques se fera ressentir non seulement sur multitude de parties prenantes, mais aussi sur le système financier dans son ensemble. Lors de la dernière décennie, les Canadiens ont de nouveau pu se rendre compte de la chance qu’ils avaient de pouvoir compter sur la stabilité de leur système financier malgré l’incertitude qui régnait. Il va sans dire que nous tous au BSIF, et nos collègues membres des conseils d’administration des institutions financières que nous réglementons, ne tiendrons jamais pour acquis la valeur et l’importance de cette stabilité.

Certes, personne ne peut prédire l’avenir, mais nous pouvons essayer de le construire ensemble en jetant des bases prudentes dès maintenant pour nous prémunir contre l’incertitude qui, assurément, planera dans les prochaines années.

Je vous remercie de votre attention.

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